La lettre du mois de l’AGAUREPS-Prométhée

L’état de la Gauche en débat

Le débat se poursuit. Devant la médiocrité de celui de la campagne des présidentielles, l’AGAUREPS-Prométhée a pris le parti de l’engager partout où il est possible de porter utilement sa parole. Et notamment dans sa Lettre du mois qui connaît de plus en plus un vif succès d’estime, preuve du sérieux de son travail d’analyse entrepris depuis sa création il y a maintenant cinq ans. Notre sujet de prédilection (notre raison d’être en fait), c’est la Gauche républicaine et sociale en particulier, la Gauche en général. En effet, quant la Gauche républicaine et sociale va mal, c’est la Gauche qui est bancale et la France dans son entièreté qui souffre. Nous ne le constatons que trop en ce moment.
Car la Gauche républicaine et sociale ne peut pas rester isolée des autres composantes majeures de gauche. Elle doit s’intéresser à ce qui se passe autour d’elle. Or, force est de constater que la santé certaines de ses composantes est loin d’être optimale, c’est le moins que l’on puisse dire. Déjà, le mois précédent, la Lettre du mois avait été consacrée à un long texte évoquant l’épineuse question de la réalité du clivage droite-gauche tel qu’il doit structurer la vie politique hexagonale, sans renoncements inopportuns ni postures dépassées. Cette fois-ci, elle est constituée de cinq tribunes libres mettant en débat l’état de la Gauche et embrassant au mieux l’horizon de celle-ci.
Les analyses de Francis DASPE livrent les raisons de l’incapacité de la gauche antilibérale, celle du non du 29 mai, à transformer l’essai marqué par les citoyens dans les urnes à l’occasion du référendum (page 3). De son côté, Michel NAUDY prolonge ce point de vue en pointant la responsabilité de certains états-majors de partis dans l’incapacité de donner une traduction politique et électorale au non de gauche et estime indispensable de rebattre les cartes au plus tôt (page 4). Symétriquement, les réflexions de Raoul-Marc JENNAR montrent assurément que la social-démocratie, représentée en France par la majorité (mais non la totalité) du Parti socialiste, s’est transformée en social-libéralisme (page X).
La question du ralliement de Jean-Pierre Chevènement et du MRC à Ségolène Royal est centrale pour les perspectives de notre courant de sensibilité républicaine et sociale. Deux avis divergents s’expriment à ce sujet. Xavier DUMOULIN approuve la stratégie adoptée, recensant les choix antérieurs faits et qui se sont révélés pertinents a posteriori (page X). Francis DASPE ne partage pas cette opinion, estimant que cette décision résulte au contraire de convergences circonstancielles et factices, et craignant qu’elle ne s’avère au final contre-productive en entravant le processus d’autonomisation d’une gauche républicaine et sociale qui n’a rien attendre de positif du triomphe de la « seconde gauche ».
Les habituelles Brèves du mois de l’AGAUREPS-Prométhée ne sont pas en reste et contribuent à alimenter le débat à leur manière en abordant des questions aussi essentielles pour la Gauche que les services publics, la laïcité, la valeur travail corrélée au pouvoir d’achat.
Francis DASPE 24 / 02 / 2007

▲ Sommaire des cinq Tribunes libres

Francis DASPE, La faute à pas de chance ?, Janvier 2007
Michel NAUDY, Pour rebattre les cartes à Gauche, Décembre 2006
Raoul-Marc JENNAR, Pourquoi les socialistes ont-ils failli ?, Novembre 2006
Xavier DUMOULIN, L’honneur de Jean-Pierre Chevènement, Décembre 2006
Francis DASPE, Un ralliement contre-productif avec l’autonomisation d’une Gauche républicaine et sociale ?, Janvier 2007

La faute à pas de chance ?

Il s’agit d’un texte paru en éditorial dans la Lettre mensuelle n° 125 d’Espaces Marx Aquitaine Bordeaux Gironde, Février 2007.

La brillante victoire remportée par le non à l’occasion du référendum portant sur la ratification du traité constitutionnel européen avait suscité un immense espoir. Espoir d’une inflexion et d’une alternative antilibérales porté par une gauche rassemblée sur les tréteaux d’une campagne unitaire. Espoir de candidatures communes aux élections prévues en 2007 afin de peser sur une gauche dont l’horizon ne se réduisait pas inévitablement à sombrer dans un social-libéralisme dilatoire.
En ce début d’année 2007, l’espoir semble avoir laissé la place à un certain désenchantement. Les collectifs issus du 29 mai volent en éclat et sont en voie de désintégration. C’est divisée, voire franchement atomisée, que la gauche antilibérale de transformation sociale va se présenter aux électeurs français. Comme en de pareilles circonstances, chacun a tendance à rejeter la responsabilité sur les autres, s’exonérant de toute réflexion critique le concernant. Il serait bien plus utile de se demander comment a-t-on pu arriver à une telle impasse. Les constats, si douloureux soient-ils, doivent être dressés sans concession.
Il est évident que les candidatures Buffet et Besancenot ne peuvent pas prétendre représenter ou incarner les collectifs fondés dans le prolongement du 29 mai 2005. Elles ne sont chacune que celle de leur propre formation politique. Arguer d’une volonté de rassemblement ne peut faire illusion : c’est dans la logique même de l’élection présidentielle (et de toute élection, pourrions-nous ajouter, à moins de se satisfaire de témoigner de manière stérile) que de s’adresser aux citoyens, au-delà de ses propres rangs militants.
La décision unilatérale du parti communiste de s’affranchir de la règle du double consensus, perçue non sans raison comme une manœuvre choquante, a sanctionné l’effondrement de la tentative de construction d’un rassemblement certes atypique mais prometteur. Elle est absolument regrettable, le basisme fondé sur une mobilisation militante relevant peu ou prou du devoir n’étant qu’un ersatz de démocratie, fusse-t-elle locale. En amont, d’autres événements avaient cependant frayé la voie à cet échec. Il serait par conséquent injuste d’en minimiser la portée dans ce processus de délitement.
La stratégie de la fraction majoritaire de la LCR y a grandement contribué. Pour cela, il nous semble nécessaire de mettre sur un plan identique le rôle joué par les candidatures Buffet et Besancenot dans la division des forces antilibérales. Le retrait prématuré mais calculé en cours de route de José Bové montrait qu’il n’était pas utile d’appartenir à un parti politique pour en adopter toutes les pratiques ou autres astuces guère reluisantes. Le vote de la synthèse du Mans lors du congrès du parti socialiste fut lourd de signification. C’était en effet occulter pour partie le clivage relatif à la fameuse « concurrence libre et non faussée » qui possédait un sens concret pour de nombreux citoyens. Il en a résulté par ailleurs un déséquilibre dommageable au sein de comités dont le caractère pluraliste était de facto affecté. Les tensions qui ont déchiré ATTAC n’ont rien arrangé en réduisant l’éventail des composantes ou courants de pensée représentés.
Un glissement insidieux s’est alors opéré, qui dénaturait et réduisait considérablement les chances de réussite d’une entreprise aussi ambitieuse. L’objectif initial n’était pas de rassembler la seule « gauche de la gauche » ou une hypothétique « gauche radicale » définie sur on ne sait quels critères objectifs, mais au contraire de réorienter l’ensemble de la gauche sur des bases antilibérales. La visée se révélait donc bien plus audacieuse car la vocation était d’être majoritaire afin de se retrouver en capacité de changer la donne au quotidien sans refuser pour cela d’exercer d’éventuelles responsabilités gouvernementales. Dans le même ordre d’idée, faire croire que tout devait se jouer entre les « 3 B », Besancenot, Bové et Buffet en l’occurrence, a constitué un contresens évident. Il s’agissait d’une perception extrêmement restrictive du « non de gauche » et de la « gauche du non » qui portait en germes la situation de blocage prévalant aujourd’hui, entérinant de ce fait un rabougrissement drastique de ce qu’avait été la réalité de la campagne, unitaire, dynamique et citoyenne.
Les conséquences se sont faites sentir sur le projet adopté. Projet qui, s’il a le mérite d’exister, comporte des insuffisances notoires. Les idées républicaines et sociales, en raison d’une surenchère maximaliste de mauvais aloi, sont malheureusement réduites à la portion congrue dans de trop nombreux domaines, par exemple sur les questions de la régulation économique, la laïcité ou encore l’école. Alors qu’elles sont très largement partagées par l’opinion publique et répondent à des aspirations fortes de la part des citoyens, elles ne sont malheureusement pas considérées à leur juste mesure. Pourtant, en raison de leur position carrefour, elles constituent l’ingrédient indispensable à l’élaboration d’un projet de transformation sociale alternatif rassemblant une gauche à vocation majoritaire.
Il est totalement inapproprié de croire que cette situation s’inscrivait dans l’ordre des choses, comme résultant d’une fatalité contre laquelle il aurait été vain de vouloir lutter. Ce n’est pas « la faute à pas de chance » si nous en sommes arrivés là. Les responsabilités individuelles existent bel et bien, écrasantes mais cependant partagées. Nul ne peut et ne saurait s’estimer la victime expiatoire des sombres agissements de partenaires forcément machiavéliques. Une posture paranoïaque ne peut être de valablement avancée par qui que soit.
L’espoir aurait-il définitivement été dilapidé par des comportements partisans inconséquents dépourvus de vision d’avenir sacrifiée à des intérêts mesquins immédiats et immédiatement mesquins ? Il subsiste néanmoins une forte demande populaire ancrée dans les mentalités qui relève bien plus de l’urgence que la nostalgie. S’agit-il de capituler en rase campagne et de se résigner sans autre préavis au vote utile ? Disons clairement que le vote utile s’apparente bien souvent à un vote futile ne servant bien souvent qu’à dissimuler une carence criant d’idées et d’arguments. Alors, 2007, une occasion de plus de manquée ? Il semble bien que oui, mais certainement pas par « la faute à pas de chance »…

Francis DASPE Janvier 2007

Pour rebattre les cartes à Gauche

Michel NAUDY est porte-parole national du MARS (Mouvement pour une Alternative Républicaine et Sociale).Ce texte fait suite à l’échec des Comités antilibéraux de s’entendre sur une candidature commune unitaire pour les prochaines élections présidentielles.

Après la décision de la direction du Parti Communiste français de maintenir jusqu’au bout la candidature de Marie George Buffet, nous avons pu déceler dans les échanges concernant l’attitude à observer à l’égard de nos partenaires de la gauche antilibérale, des éléments d’appréciation différents. Tout cela est bien normal après l’ébranlement que nous venons de subir, compte tenu de l’intensité de notre engagement dans la bataille et de la diversité de nos situations politiques locales.
Cependant, je voudrais vous livrer quelques réflexions en avant-propos de la discussion générale que nous devons mener ensemble. Dans ce moment politique important, notre petite structure, notre MARS, a joué un rôle majeur, un rôle de passerelle permanente qui nous a permis sur une ligne politique claire et sans compromission, d’être un élément important de la cohésion d’un projet politique vaste et ambitieux. L’échec et là, patent. Mais cet échec n’est pas le nôtre. Nous avons tout tenté, tout essayé. Mais nous avons aussi beaucoup appris.

Il me semble que la principale leçon à retenir est que la structuration politique de la gauche et le cadre institutionnel dans lequel elle s’exerce doivent impérativement êtres subvertis. Nous ne ferons rien de bon avec de telles cartes. En présentant un front antilibéral d’un type nouveau nous avons contribué à accélérer la crise des appareils existants dont la seule fonction est de persister dans leur être jusqu’à que mort s’en suive. Croyons-nous indifférent l’engagement de la minorité de la LCR dans notre mouvement? Croyons-nous sans importance, la nouvelle fracture apparue au sein du PCF, jusqu’à sa direction ? Croyons-nous inutiles les liens que nous avons su nouer avec beaucoup auxquels nous ne nous adressions plus depuis longtemps?
Dans cette vaste affaire, le MARS a conquis une légitimité. Nous sommes apparus comme des partenaires sérieux et responsables, cohérents. Soupçonnés par les uns d’être des porteurs d’eau du PCF, nous avons été les premiers mis en cause par Marie George Buffet dès l’instant où elle a décidé de se défaire des collectifs. C’est bien la preuve par l’absurde que nous nous étions placés au coeur du processus. Là est toujours notre place. Et nous avons été au bout de la démarche en avançant la proposition Wurtz et en la soutenant faisant ainsi (hélas !) la démonstration que la direction du PC ne voulait rien entendre.

Le phénomène de décomposition-recomposition se poursuit et va même s’accélérer tant la position la direction communiste va devenir intenable et celle de la LCR inutile. Dans ces circonstances, il est important qu’une voix comme la nôtre puisse continuer à fédérer les énergies, à faciliter les fédérations. Notre orientation républicaine nous garantit contre des tentations « spontanéo-n’importequoïstes » et nous devons réaffirmer notre logiciel en toutes circonstances. Cependant, il doit nous servir à nous remettre au centre de toutes nouvelles constructions et non nous isoler sur l’Aventin.
L’heure est aux rouleaux compresseurs. Laissons passer. Posons dès maintenant les jalons pour demain. Dans la bataille que nous venons de mener un nouveau « personnel politique » est apparu, des militants se sont formés et surtout un espoir est né. Des milliers de communistes, en dépit du vote maréchaliste de leur direction, sont grandement troublés. Il faut s’adresser à tous, les sortir des logiques identitaires. Dessiner des ponts, encore et toujours.

Michel NAUDY Décembre 2006

Pourquoi les partis socialistes ont-ils failli ?

Raoul-Marc JENNAR, est militant altermondialiste et chercheur auprès du mouvement social à l’URFIG (Unité de Recherche, de Formation, d’Information sur la Globalisation).
Site internet : www.urfig.org )

Très souvent, on me demande comment j’explique que les partis socialistes, eux dont c’était le premier devoir, n’ont pas, depuis le début des années quatre-vingt, résisté à la mondialisation néolibérale. En Belgique comme en France, où le mouvement ouvrier a été imprégné par un idéal socialiste très longtemps soucieux de se démarquer de la social-démocratie, cette question est lancinante.
Une première réponse me semble évidente : le poids grandissant qu’ont pris les experts auprès des politiques à un moment où la mondialisation voulue par le patronat requerrait de la part des politiques une plus grande capacité à faire des choix. Le plus souvent les socialistes s’en sont remis à leurs experts. Ceux-ci, au nom d’une science économique qui n’a de science que le nom, étaient tout disposés à fournir les alibis techniques à des choix présentés comme inéluctables. Les experts ont rationalisé un slogan irrationnel : « il n’y a pas d’alternative ». L’effacement socialiste, c’est d’abord le triomphe de la technocratie sur la démocratie.
Une deuxième réponse est tout aussi manifeste : l’extrême difficulté qu’ont eu les élus socialistes, crispés sur les problèmes de leurs circonscriptions ravagées par la crise charbonnière puis sidérurgique, à s’investir dans l’européen et l’international. Pour s’en convaincre, il était flagrant de constater, par exemple dans les travaux parlementaires, la différence d’intérêt pour ces matières entre les élus de droite, relais zélés d’un patronat qui a occupé d’emblée l’espace supranational, et ceux de gauche.

Au-delà de ces constats de portée générale, la réponse n’est pas la même au Nord et au Sud de la frontière franco-belge. En Belgique, les socialistes, après la deuxième guerre mondiale, ont placé tous leurs espoirs dans la construction européenne. Le rôle joué par Spaak, un des « pères fondateurs », a été déterminant. Cette adhésion sans réserve les a désarmés lorsqu’il est devenu manifeste que l’harmonisation économique et commerciale ne s’accompagnait pas d’une harmonisation sociale et que le primat de la concurrence devenait la machine à détruire les acquis sociaux. En dépit de ses dérives néolibérales, le projet européen, tel qu’il est mis en œuvre, demeure au PS un sujet tabou. Ce qui se traduit par un refus de s’opposer radicalement aux initiatives de la Commission européenne. Même quand cela signifie la destruction de ce pour quoi des socialistes se sont tant battus au 19e siècle et pendant une bonne partie du 20e.
En France, la dérive vers le social-libéralisme résulte d’une conjonction de deux phénomènes : l’arrivée au pouvoir d’un personnage extrêmement ambigu, François Mitterrand, et la montée en puissance d’un courant dans le PS, mais aussi dans le syndicalisme (la CFDT d’Edmond Maire), baptisé « deuxième gauche » et incarné par des personnalités de conviction chrétienne tels que Jacques Delors et Michel Rocard.
La deuxième gauche française, c’est un peu l’équivalent du Mouvement Ouvrier Chrétien belge. A la différence de chrétiens de gauche comme François Houtart en Belgique ou Jacques Gaillot en France, convaincus que l’opposition entre exploiteurs et exploités demeure la grille d’analyse pertinente, les chrétiens de la « deuxième gauche », clament eux la nécessité de dépasser la lutte des classes pour arriver au « dialogue social » entre « partenaires sociaux » et réaliser des compromis dans le cadre d’un réalisme respectueux des contraintes économiques.
Ce qui se traduit par la soumission du politique à l’économique. C’est la capitulation devant un patronat qui a compris qu’il est possible de revenir sur cent cinquante ans de conquêtes démocratiques et sociales en subordonnant les États à des institutions supranationales vouées au libéralisme économique le plus débridé et dotées de pouvoirs contraignants telles que l’Union européenne ou l’Organisation Mondiale du Commerce.

Avec Delors, la deuxième gauche est à l’origine du « tournant de la rigueur » de 1983, de l’Acte unique européen de 1986, du traité de Maastricht négocié en même temps que la création de l’OMC. Les flexibilités, les dérégulations, les libéralisations décidées alors ont créé les inégalités, la précarité et la pauvreté d’aujourd’hui.
Cette victoire de la deuxième gauche au sein du PS rend possible l’émergence d’une Ségolène Royal conseillée par un Pascal Lamy formé par Delors. Aujourd’hui, elle espère faire franchir à la société française une nouvelle mutation : celle qui effacera définitivement l’approche par la lutte des classes et mettra en place un bipartisme à l’américaine. A moins que le peuple français n’en décide autrement. Comme un certain 29 mai.

Raoul-Marc JENNAR Novembre 2006

L’honneur de Jean-Pierre Chevènement

Xavier DUMOULIN est membre du MRC (Mouvement Républicain et Citoyen). Il est aussi membre de l’AGAUREPS-Prométhée.

Qu’ils sont sévères ces pourfendeurs de la chevènementie ! Pas de mots assez durs pour stigmatiser la posture du Che et de ses amis. Aucun argument ne sera épargné. Amalgames, inexactitudes, jugements péremptoires… Il faut hurler avec les loups !
Tout a commencé bien avant la fatwa de Lionel Jospin, ce mal aimé des Français. Nous sommes à Epinay en 1971. Un jeune stratège travaille avec ses amis qui ont investi la vieille maison de la SFIO. Il est prêt à soutenir un certain François Mitterrand sur une ligne de rupture avec le capitalisme et d’Union de la Gauche. C’est chose faite grâce à l’appui du CERES. Jean-Pierre Chevènement écrit le projet socialiste et négocie aux côtés de F. Mitterrand le programme commun. Incontestable.
Nous voici à Metz en 1979 avec l’affrontement des deux lignes: celle de Rocard (la société civile, contre le jacobinisme et l’étatisme, contre les nationalisations franches, le plan etc…) et celle de la fidélité à l’Union de la Gauche (« entre le plan et le marché il y a le socialisme » disait alors Fabius). Où est Jean-Pierre Chevènement ? Metz permet ensuite la victoire de 1981 avec le rassemblement des forces de gauche. Jean-Pierre Chevènement qui avait été chargé de l’élaboration du projet socialiste, devient Ministre d’Etat (industrie et recherche). Il mène une action vigoureuse pour la recherche.

1983. Mitterrand hésite puis choisit d’ouvrir la parenthèse libérale avec l’arrimage du franc au SME et la politique de l’offre. Démission de Jean-Pierre Chevènement qui mène la bataille au congrès de Bourg-en-Bresse. Ce diable de CERES est toujours bien vivant. En toute responsabilité, il choisit la synthèse. 1984 : rappel de Jean-Pierre Chevènement après l’échec du GSPULEN (Alain Savary échoue dans sa tentative d’unifier le service public de l’éducation nationale). Chevènement relève le défi de l’intelligence: « lire, écrire et compter », « quatre vingt pour cent d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat ». Une impulsion forte qui remet les vrais enjeux au centre du débat. Jean-Pierre Chevènement et ses amis changent le CERES en Socialisme et République, revenant aux sources de la pensée socialiste ; celle de Jaurès.
Après la reconquête du pouvoir (je devrais dire l’exercice) en 1988, Jean-Pierre Chevènement est tout naturellement investi d’un grand portefeuille : la Défense (depuis très longtemps, il œuvre avec Charles Hernu pour une politique de dissuasion et a su faire adopter ce principe avant l’arrivée de la Gauche au pouvoir).La première guerre du Golfe se dessine. Jean-Pierre Chevènement se désolidarise et refuse l’alignement de la France sur les Etats-Unis. Ce n’est pas la guerre du droit mais celle du pétrole qui annonce la seconde guerre impérialiste de G.W. Bush (et entre temps le blocus et ses milliers de morts). Jean-Pierre Chevènement prend le risque de s’isoler. Sa démission est finalement acceptée par François Mitterrand.
Avec le traité de Maastricht, il faut tout le tempérament de Jean-Pierre pour s’opposer à F. Mitterrand et au parti socialiste. L’Europe libérale est devenue l’horizon des socialistes ! Le Mouvement des Citoyens (MDC) rassemble des militants qui refusent cette allégeance au libéralisme et veulent relever la France, la Gauche et la République.

Avec la Gauche plurielle Jean-Pierre Chevènement reprend du service à l’Intérieur. Il agit avec équilibre sur les questions de sécurité (voir les récents compliments de Ségolène Royal), promeut l’intercommunalité et règle la question des sans-papiers. Advint alors la question Corse. Dans son dos, Jospin et son directeur de cabinet préparent la partition de la République (l’histoire leur donnera tort avec le référendum en Corse). Jean-Pierre Chevènement démissionne. Emile Zucarelli est d’accord avec lui.
Nous voici dans la campagne des présidentielles en 2002. Au dessus de la Gauche et de la Droite il y a la République ! C’est toujours vrai ! Sauf pour Monsieur Sarkozy, peut être avec ses penchants communautaristes et sa fascination pour l’Amérique. A l’extrême gauche, sous réserve d’inventaire, les approches évoluent dans le bon sens : Christian Picquet de la LCR publie La République dans la tourmente et Jean-Luc Mélenchon (qui ne sait pas toujours où il habite) reconnaît des vertus à la République. En 2002, disais-je, Jean-Pierre Chevènement entend relever la France « en faisant en tous points retour à la République ». Quelle ringardise pour tous nos pourfendeurs de cet ordre juste cher à Ségolène Royal. Traversée du désert face aux conservatismes des bien-pensants. Jean-Pierre Chevènement et ses amis tiennent bon. Un aveu: ils font bien de se délester des soi disants souverainistes qui ont su brouiller les cartes à la différence des éléments sincères possédant cette sensibilité forte sur la souveraineté populaire.

Et nous voici dans le temps présent de cette nouvelle campagne. Dans le droit fil de sa pensée exprimée dans son dernier et riche ouvrage, La faute de Monsieur Monnet, et en phase avec la ligne du Mouvement Républicain et Citoyen, Jean-Pierre Chevènement repart à l’assaut du libéralisme dans une élection majeure pour la France. Il ouvre sa campagne avec brio dans un grand meeting à la salle Japy. Ruse de l’Histoire ; les socialistes un peu déboussolés par la liberté de ton de leur candidate se résignent à négocier avec le MRC. On connaît le résultat et il faut s’en réjouir car Jean-Pierre Chevènement qui veut être « l’instituteur républicain » dans cette campagne (discours de Japy) est aujourd’hui encore mieux entendu. Quelle constance ! Quelle détermination ! Quelle abnégation ! Avec une intelligence et une cohérence reconnue de tous Jean-Pierre Chevènement est à mes yeux l’honneur de la Gauche. Il se situe « du point de vue le moins encombré, c’est à dire le plus élevé ».
Il y a du Jaurès et du Mendès dans cet Homme. Avec lui, il reste un avenir.

Xavier DUMOULIN Décembre 2006
sr07.unblog.fr

Un ralliement contre-productif avec l’autonomisation d’une Gauche républicaine et sociale ?

Francis DASPE est membre du Mouvement Républicain et Citoyen (MRC). Il est aussi membre de l’AGAUREPS-Prométhée.

Le ralliement de Jean-Pierre Chevènement en faveur de Ségolène Royal a été accepté à une large majorité du MRC. Pour autant, il n’a pas été sans poser des interrogations, et pas seulement à ceux qui s’y sont opposés par un vote négatif. Mais la confiance dans la perspicacité des choix du chef charismatique l’a finalement emporté sur les réticences intimes de beaucoup d’entre eux.
Les arguments avancés par les tenants d’un tel ralliement sont pour une grande partie parfaitement recevables. Avouons tout d’abord qu’il n’existait effectivement pas vraiment beaucoup de solutions alternatives à ce choix : la chasse aux parrainages d’élus s’avérait extrêmement ardue tandis que les sondages n’incitaient guère à l’optimisme. Il est également vrai de dire que le contenu du texte de l’accord signé la veille de l’officialisation de la décision est conforme aux vues défendues depuis longtemps par le MRC. On pourrait même croire avoir gagné la bataille de la stratégie d’influence à l’égard du Parti socialiste !
En dépit de ces arguments, nous considérons que ce ralliement à Ségolène Royal constitue une erreur. Il se fonde à notre sens sur des convergences circonstancielles et en définitive factices. Des incohérences notoires subsistent (par exemple sur l’Europe ou l’Ecole dont on ne peut affirmer qu’elles constituent des points forts pour la candidate socialiste) ou affleureront immanquablement dans un proche avenir dès lors qu’il faudra aussi donner des gages aux radicaux et aux écologistes. Les récents développements de la campagne ont déjà mis en exergue quelques hiatus qui laissent mal augurer de la suite, notamment dans les domaines de la fiscalité, du nucléaire ou la stigmatisation d’un Etat « jacobin et colbertiste » au profit d’un régionalisme dilatoire. Le texte de l’accord politique est certainement trop brillant pour être totalement honnête… Ségolène Royal a prouvé qu’elle avait appris à parler la douce langue du « chevènementisme » avec opportunisme quand la situation l’exigeait !

Le MRC s’est effectivement retrouvé dans une situation délicate qui résulte du splendide isolement dans lequel il patauge depuis les présidentielles de 2002. Sa marge de manœuvre en a été forcément réduite. Isolement qui est autant dû à la volonté sourde de larges pans de la classe médiatico-politique bien pensante de l’éradiquer qu’à son incapacité à se positionner clairement et sans ambiguïté à gauche et à s’y faire accepter avec sa singularité, ce à quoi certaines formules lapidaires se voulant définitives n’ont pas concouru. Il est à cet égard significatif de faire remarquer que la quasi-totalité de ceux qui se sont opposés au ralliement à Ségolène Royal avaient continuellement regretté que le MRC fasse preuve de timidité et ne s’inscrive pas plus résolument au cœur des débats qui irriguent la gauche. Ce qui aurait été la moindre des choses quand on avait pour ambition de « procéder à la refondation de la gauche sur des bases républicaines » comme l’indiquait avec pertinence la motion de synthèse du congrès fondateur de Saint-Pol sur Mer en janvier 2003.
Ce ralliement n’est pas en définitive seulement un choix d’orientation stratégique, mais aussi un calcul tactique qu’il n’est au demeurant absolument pas ignominieux de faire, car les contingences de l’action politique ne sauraient être superbement (et donc bêtement) ignorées ou éludées. Mais plusieurs indices concordants laissent à penser qu’il s’agit d’un mauvais calcul, tant stratégique que tactique, que ce soit à moyen terme ou en se projetant plus en avant dans l’avenir.
Car l’avenir consiste à œuvrer à la construction d’une gauche républicaine, sociale, laïque, récusant le libéralisme, et dont la compréhension de l’actualité nous indique l’urgente nécessité. Aujourd’hui, cette mouvance de gauche républicaine et sociale est extrêmement morcelée en une multitude de structures diverses. Si avant 2002 le MDC (remplacé en 2003 par le MRC) pouvait prétendre rassembler et représenter un très large spectre de celle-ci, cela n’est maintenant plus le cas : les dommages collatéraux de la campagne des présidentielles de 2002 ont modifié la situation en profondeur.
Cette gauche républicaine et sociale doit conquérir son espace politique, prise en tenaille par la gauche gagnée au social-libéralisme et celle se situant à la gauche de la gauche (se trouve-t-on encore à gauche est-on en droit de demander) et se voulant radicale. Son objectif est de créer les conditions d’une véritable alternative à réaliser dans le cadre de la République, matrice des progrès sociaux depuis deux siècles, et non dans l’attente d’un hypothétique grand soir ou d’une acceptation même atténuée de bons sentiments du marché tout puissant. Le combat idéologique est rude, et ce partout où il s’exprime : on l’observe au sein du parti socialiste, dans les débats internes à ATTAC, dans les collectifs antilibéraux. Nous avons un besoin impératif pour résister à ces attaques conjuguées de notre cohérence qui constitue notre marque de fabrique.

Le ralliement fait à Ségolène Royal sonne comme la victoire de ce qu’on a appelé la « seconde gauche ». La candidate socialiste l’incarne à merveille. C’est pour cela que nous craignons qu’il constitue un obstacle supplémentaire à l’autonomisation d’une gauche républicaine et sociale dont les idées sont majoritaires au sein de la population, à défaut de l’être dans les structures politiques. Il nous semble en définitive contre-productif sur le long terme, au contraire des paris réalisés au cours des années 1970 à l’occasion des congrès d’Epinay ou de Metz. Ils l’avaient été alors au profit de la « première gauche » contre « la seconde gauche ». Le tournant libéral de 1983 a depuis inversé les rapports de force : c’est la seconde gauche qui se trouve en positon favorable : rien qui ne promette de bon pour le courant de gauche républicaine et sociale.
Auteur : Francis DASPE Janvier 2007

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